Comment les RUNES NORDIQUES furent créées
Qui était assez fou – ou assez sage – pour se pendre neuf nuits à un arbre afin de découvrir les secrets du monde ? Que cache vraiment l’alphabet sacré d’Odin ? Les runes nordiques, nées d’un sacrifice divin, sont bien plus qu’un système d’écriture : elles sont le langage même du destin.
J’étais pendu à l’arbre, balayé par les vents,
Pendant neuf nuits pleines,
Transpercé par une lance, offert à Odin.
Je me donnais à moi-même,
Sur cet arbre dont personne ne sait
Où courent les racines.
Dans ces lignes tirées du Hávamál – l’« Ode du Très-Haut » – Odin, maître des dieux nordiques, raconte comment il s’est sacrifié à lui-même pour percer le secret des runes. Suspendu neuf nuits à Yggdrasil, l’arbre du monde, il accéda à un savoir que nul autre n’avait obtenu : celui des signes cachés du destin. Les runes, nées de cette révélation divine, allaient devenir bien plus qu’un simple alphabet : un langage sacré, un outil de magie et un miroir de l’âme humaine.
Les origines d’un alphabet sacré
Les historiens situent l’apparition des runes vers le Ier siècle de notre ère, probablement dans le sud de l’Allemagne actuelle. La plus ancienne inscription connue remonte à environ l’an 50. Il ne s’agissait pas encore d’un alphabet figé, mais d’un ensemble de signes inspirés à la fois du latin, de l’étrusque et d’autres systèmes méditerranéens. Ce qui rendait les runes uniques, c’était leur forme anguleuse : gravées sur le bois ou la pierre, elles devaient être taillées sans courbes, adaptées à la rigueur du matériau et du climat.
Le premier système complet, le Vieux Futhark, comptait 24 signes. Son nom vient des six premières runes : Fehu, Uruz, Thurisaz, Ansuz, Raido, Kaunan. Plus tard, les Scandinaves de l’époque viking simplifièrent ce système pour créer le Futhark récent, composé de 16 caractères. Inversement, les Anglo-Saxons enrichirent leur propre version – le Futhorc – jusqu’à atteindre 33 signes. Chaque lettre possédait non seulement une valeur phonétique, mais aussi un nom, un symbole et une puissance.
À quoi servaient les runes nordiques ?
Les runes servaient d’abord à marquer les objets, à dédier une arme ou un bijou à un dieu, ou encore à inscrire un message bref sur une pierre funéraire. Mais très vite, leur usage dépassa la simple écriture. Les peuples germaniques et nordiques voyaient dans ces symboles la trace du sacré. Graver une rune, c’était invoquer une force.
Certaines étaient associées à la victoire, d’autres à la protection, à la fertilité, à la sagesse ou à la malédiction. On raconte que les guerriers vikings gravaient Tiwaz, la rune du dieu Tyr, sur leurs épées avant la bataille, et que les guérisseurs inscrivaient Laguz sur leurs amulettes pour favoriser le flux vital. Les runes pouvaient aussi être disposées en combinaisons magiques, appelées bindrunes, afin d’unir plusieurs influences dans un même symbole.
Les Eddas et les sagas islandaises mentionnent souvent ces pratiques. Dans la Saga d’Egil, le héros déjoue une maladie causée par de mauvaises runes gravées sur un os de baleine. Ce récit illustre la conception nordique du langage : les mots et les signes possèdent un pouvoir concret sur le monde.
Le déclin et la survie des runes
Avec la christianisation progressive de la Scandinavie, à partir du Xe siècle, les runes furent bannies ou dissimulées. L’Église les associait à la magie païenne, au même titre que les anciens dieux. Pourtant, elles ne disparurent pas complètement. Dans certaines régions isolées de Suède ou d’Islande, elles restèrent utilisées jusqu’à l’époque moderne, parfois comme simple système d’écriture vernaculaire, parfois dans des contextes occultes.
Au XVIIe siècle, érudits et antiquaires redécouvrirent les pierres runiques et commencèrent à les étudier. Puis, au XIXe siècle, le romantisme nordique fit renaître leur aura mythologique. Les runes devinrent le symbole d’une identité ancienne et mystérieuse, entre folklore et ésotérisme.
Le sens caché des runes
Chaque rune évoque un archétype :
- Fehu représente la richesse et l’énergie créatrice,
- Uruz la force vitale,
- Ansuz la parole inspirée,
- Raidho le voyage,
- Kenaz la flamme de la connaissance…
Ensemble, elles forment une carte du monde intérieur. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, elles sont utilisées à des fins divinatoires. Tirer les runes, c’est interroger les forces invisibles, comme le faisaient jadis les devins des clans nordiques.
On comprendra donc que les runes, à travers leur nature de langage symbolique, peuvent jouer un rôle de prédiction. Elles invitent en outre à la méditation, à la réflexion sur les cycles de la vie, le courage, la perte et la renaissance. Elles rappellent que la sagesse se conquiert souvent au prix d’un sacrifice – à l’image d’Odin suspendu à Yggdrasil.
Jésus-Christ et Odin : de troublantes ressemblances


L’histoire d’Odin suspendu à l’arbre du monde résonne étrangement avec d’autres figures spirituelles, notamment celle du Christ. Tous deux subissent une épreuve d’élévation et de douleur : Odin pendu à Yggdrasil, transpercé par sa propre lance nommée Gungnir ; Jésus cloué au bois de la croix, transpercé au flanc par la lance du centurion romain Longinus.
Dans ces deux récits, le sacrifice corporel devient passage vers la révélation. L’arbre, symbole de la verticalité entre ciel et terre, relie le monde matériel et le domaine du divin. L’un cherche la connaissance, l’autre le salut universel — mais tous deux incarnent la même idée : la sagesse exige un renoncement, et la lumière naît du supplice.
Autre fait étonnant : les deux événements semblent situés à la même époque. En deux lieux différents, deux révélations analogues.
Loin de retirer du mythe à la légende d’Odin ou du sacré au fait historique du Christ, cette troublante ressemblance de symboles témoigne du lien immanent qui unit les hommes à travers le temps et l’espace, conduisant à des révélations ou des avancées technologiques de même nature qui, à plusieurs reprises au cours de l’histoire, eurent lieu dans des temps rapprochés mais dans des contrées éloignées.
C’est comme si le Christ et Odin étaient les avatars d’une conscience cosmique supérieure, qui avait décidé qu’en plusieurs endroits et à une même époque, l’humanité était prête à recevoir un enseignement spirituel permettant une progression conjointe.
Deux figures, deux mondes, un même geste d’offrande pour percer le secret de la vie et de la mort.
Le Pendu du Tarot de Marseille
Cette parenté ne s’arrête pas aux textes religieux. Elle s’étend jusque dans l’imaginaire ésotérique du tarot. La carte du Pendu, douzième arcane majeur, représente un homme suspendu par un pied, la tête en bas, souvent entouré d’une aura de clarté. Il n’est pas puni : il contemple le monde autrement. Son immobilité volontaire évoque le renversement intérieur, l’abandon du contrôle pour accéder à une connaissance supérieure.
Odin, le Christ et le Pendu partagent ainsi une même structure symbolique : le sacrifice librement consenti pour accéder à un savoir ou une vérité transcendante. Tous trois rappellent que l’illumination ne vient pas d’un don reçu, mais d’une épreuve traversée. Les runes, nées de la souffrance du dieu nordique, conservent cette empreinte : elles ne livrent leurs secrets qu’à celui qui accepte de regarder le monde à l’envers, comme le Pendu, et de mourir un peu à lui-même pour comprendre ce qui se cache derrière les signes.


Conclusion
Les runes nordiques continuent de fasciner, car elles unissent deux dimensions rarement conciliées : la rigueur du signe et la fluidité du mystère. On les retrouve dans les jeux vidéo, les films et les œuvres littéraires contemporaines, mais aussi dans des pratiques spirituelles où elles servent à renouer avec une forme de savoir ancien, enraciné dans la nature et la conscience du destin.
Elles ne sont pas seulement les vestiges d’une langue morte. Elles forment une passerelle entre les mondes : celui des dieux et des hommes, de la parole et du silence, du visible et de l’invisible. Apprendre à les lire, c’est, d’une certaine façon, reprendre le fil du chant qu’Odin entendit en se balançant dans le vent.



